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Colonialisme

Mayotte La révolte muselée

dimanche 30 octobre 2011, par Courant Alternatif

Mayotte est plongée depuis quatre semaines maintenant dans le plus long conflit social de son histoire. Un conflit avec un mot d’ordre simple : halte à la « vie chère », mais qui ne cache pas des malaises sociaux beaucoup plus profonds et dramatiques. Une lutte qui va être réprimée par le gouvernement français avec une violence que l’île n’avait jamais connu, digne des rassemblements internationaux... Mais la construction de ce mouvement social sème les graines de la contestation sur la situation de Mayotte et le statut de colonie toujours réel sur cette île, confetti de l’impérialisme français...


Depuis le 27 septembre 2011, à l’appel de trois syndicats, d’associations de consommateurs et du collectif des citoyens perdus [1], un mouvement de grève générale et illimitée a été lancé pour protester contre la « vie chère » et réclamer ainsi la baisse des prix sur 11 produits de première nécessité. Ce alors même que l’intersyndicale et les associations de consommateurs ont pointé du doigt plus de 300 produits dont le coût est plus important qu’en métropole. Un mouvement qui n’a cessé de prendre de l’ampleur au fur et à mesure des jours et de la répression qui l’a accompagné et qui l’accompagne toujours.

Instantané de la situation mahoraise

Cette contestation n’est pas sans rappeler les mobilisations sur la même thématique qui ont secoué les Antilles en 2008. Mais si les similitudes semblent visibles, il reste important de préciser le cadre mahorais. Mayotte se lance depuis 1995 dans une politique drastique de fermeture des frontières qui va s’accompagner dans les années 2000 d’une lutte contre l’immigration qui ira crescendo. Le territoire totalise ainsi en 2010, 26000 expulsions dont 6000 mineurs et plus de 8000 mineurs isolés sur l’île. C’est à dire autant de mineurs isolés et d’expulsions que sur l’ensemble du territoire métropolitain  ! Une lutte implacable qui n’a de cesse de précariser une large frange de la population, on estime ainsi la population de sans papier à plus de 65000, une population qui représente en même temps la moitié des 36000 actifs de l’île !
La population métropolitaine de l’île représente quand à elle un peu plus de 10 000 habitants, dont plus de 70% ont des revenus en moyenne cinq fois plus importants que les revenus locaux. Des revenus basés sur d’importantes primes et autres avantages liés à l’expatriation de ces français de métropole... Des français de métropole dont l’ancrage local est tout à fait particulier et qui n’est pas sans rappeler une implantation coloniale tant les échanges entre les deux cultures semblent difficiles et épars (une part importante de la population métropolitaine s’implante dans des quartiers peu mixtes qui rappellent les gated communities des États Unis). Mais les tensions entre les communautés ne sont pas le seul apanage des relations entre métropolitains et locaux. La lutte contre l’immigration à l’instar de la métropole va se développer et favoriser des idées d’extrême droite, des phénomènes d’exclusion, de racisme voire de xénophobie, qui semblent se répandre toujours un peu plus à Mayotte.
Cette fermeture des frontières pour les hommes va donc être implacable, elle va s’accompagner également d’une fermeture des frontières économiques par la rupture des échanges traditionnels avec la région. La France lance à partir des années 90 un développement de l’île basé sur un isolement régional construit sur et par un pouvoir colonial. L’économie de l’île essentiellement vivrière jusque dans les années 90 va, petit à petit, se muer en une économie basée aujourd’hui à plus de 90% sur les importations mondialisées et qui a vu progressivement disparaître une large partie des productions locales y compris les productions à forte valeur ajoutée telles la vanille et l’ylang...
Quand aux revenus de l’île, ils sont basés sur des inégalités criantes. Inégalités flagrantes avec la métropole coloniale puisque les aides sociales sont inexistantes sur l’île. Le Smic est inférieur de plus de 100 euros à celui de la métropole. Le RSA est prévu d’être mise en place à partir de 2012 mais seulement à hauteur de 25% du RSA de métropole soit à peine plus de 100 euros par mois. N’oublions pas que la population a un niveau de vie cinq fois inférieur à celui des habitants de la métropole et qu’un tiers de l’île se trouve exclu de fait de toutes hypothétiques prestations puisque sans autorisation de séjour...

Les origines de la Contestation

Profitant de ce nouveau marché qui s’ouvre dans les années 2000, d’un développement éclair voulu par la France, et d’une population qui s’accroît rapidement [2], trois grandes plate-forme de distribution vont s’implanter sur l’île : SODIFRAM, SCORE et SOMACO. Tous trois vont se partager le marché en pleine expansion que représente Mayotte. Mais loin de jouer la carte de l’économie libérale capitaliste, ces trois derniers ne vont pas développer de concurrence et vont s’accorder sur les prix des denrées et produits vendus sur l’île. Ces prix vont bien évidement être tirés vers le haut, sous prétexte d’éloignement du territoire et de l’origine des produits amenés [3]. Étrange raisonnement dans un capitalisme mondialisé qui a su tirer les coûts des produits vers le bas, en abaissant drastiquement les coûts de transport, souvent au détriment de l’environnement et du bon sens. Des politiques économiques incohérentes à un point tel que les économies modernes se trouvent complètement délocalisées et les produits locaux en concurrence implacable avec des produits qui viennent de l’autre bout du monde à moindre frais et dont les coûts ne cessent de se réduire...

Mais la désinformation et la manipulation ne s’arrêtent pas là, autre argument avancé par les distributeurs et l’Etat pour justifier une flambée des prix implacable, l’origine des produits et le principe de précaution sanitaire... Ironique lorsque l’on sait que les viandes qui viennent du Brésil jusqu’à Mayotte sont interdites en Europe du fait d’un moratoire sanitaire portant notamment sur le bœuf aux hormones... Or, Mayotte n’est pas en Europe alors pas de moratoire possible, mais par contre un principe de précaution avancé pour les viandes venues de Madagascar, qui jusque dans les années 90 étaient allègrement consommées par la population locale... La grande distribution valorisant ses profits ici avec des marges pharaoniques et sur une crédulité fantasmée de la population...
Mais ces trois grandes sociétés de distribution ne sont pas les seules à se partager ce juteux gâteaux. Total a su s’imposer sur l’île et bénéficie d’un monopole sur les hydrocarbures et une forte présence sur le gaz, il est clair qu’à Mayotte l’on ne vient pas chez eux par hasard...

Dans les années 2000 la création du Conseil Général de Mayotte en vue d’une future départementalisation va s’accompagner de taxes douanières sur les produits importés. Cette institution voit ainsi l’intégralité de ses revenus basés sur les aides de l’Etat français et sur ces taxes douanières puisque la fiscalité foncière reste toujours inexistante sur l’île. Des taxes qui viennent s’ajouter aux taxes de l’Etat concernant l’introduction des marchandises sur l’île. L’ensemble de ces taxes atteignent parfois 30% du prix des produits !

Dernier aspect de cette hausse des prix, cette fois ci beaucoup moins légitime, mais s’intégrant parfaitement aux logiques néo libérales capitalistes, l’indexation des prix sur les revenus les plus hauts de l’île, en majorité ceux des mzungu (métropolitain)... Revenus piégés par les systèmes de prime dont certaines sont dispensées, ironie du sort, du fait du coût de la vie sur l’île. Les prix s’adaptent à ces hauts revenus, créant inégalité et instabilité dans la population où une minorité dispose d’un pouvoir d’achat conséquent sur les denrées de première nécessité à l’inverse des trois quarts de la population de l’île...

Une contestation muselée et réprimée dès le début

Le 27 septembre dernier sonnait le premier jour d’une contestation qui allait durer plus de trois semaines et qui ne s’est toujours pas achevé à l’heure où nous écrivons ces lignes... Ce 27 septembre, en écho aux journées de mobilisation décidées en métropole, Mayotte emboîte le pas et se mobilise sur deux thématiques distinctes. La première de ces mobilisations en lien avec la métropole basée sur la crise au sein du système éducatif dont Mayotte reste l’un des symboles, et l’autre sur une problématique plus locale, la « vie chère ». La première manifestation réunira une centaine de personne dont une majorité de métropolitains, alors que la seconde réunira plus d’un millier de manifestants, où cette fois ci la population mzungu boude la mobilisation. A noter également, que cette deuxième manifestation va se voir encadrée par un imposant dispositif policier qui va apporter son premier lot de tensions. Fort du succès de ce premier rendez-vous et répondant à l’appel à la grève générale et illimitée, une seconde mobilisation est décidée pour le lendemain 28 septembre. Une fois encore cette action va être un succès réunissant plusieurs milliers de manifestants.

Les autorités coloniales face au succès de ces premières démonstrations de force du 27 et 28 septembre, vont déployer en ce second jour de manifestation des moyens policiers massifs allant même jusqu’à l’utilisation des deux blindés de la gendarmerie affectés à Mayotte depuis 2008 et de l’hélicoptère de la Gendarmerie pour protéger la principale zone économique de l’île. Un déploiement policier digne des manifestation altermondialistes, allant parfois jusqu’à rappeler une situation de quasi-guerre. Dès lors la colère des manifestants, devant l’écoute et le traitement de leur revendications, par les autorités, va croître et les premiers incidents vont survenir entre les forces de l’ordre et les manifestants. Les tirs de grenades lacrymogènes et de grenades assourdissantes, les arrestations massives vont pleuvoir et pleuvent encore sur l’île quasiment sans interruption sur les contestataires... Violences policières auxquelles les manifestants vont parfois répondre par des caillassages et des barrages routiers montés à la hâte en vue de blocage de l’île. Mais il faut rappeler que la plupart du temps les grévistes répondront aux provocations et intimidations policières par des mobilisations toujours plus massives...
Mais alors pourquoi un tel déploiement de forces lors des premiers jours de mobilisation ? Importante question, où plusieurs pistes de réponse peuvent être avancées. La première tient sans nul doute à l’inexpérience du préfet en place depuis seulement juillet 2011, même si ce dernier peut s’enorgueillir d’une expérience au sein de la préfecture de Guadeloupe en 2008. Le second axe de réponse tient quand à lui aux craintes soulevées par une telle mobilisation qui n’est pas étrangère à la population mahoraise, qui s’était déjà mobilisée en décembre 2009 sur la même thématique. Dernière piste de réflexion relative à l’usage démesuré des moyens répressif, ces mouvements rassemblent dans leur immense majorité la population locale, avec une quasi absence des métropolitains au sein des cortèges, et ce même si la tendance s’inverse petit à petit. Un constat qui va laisser un goût amer aux manifestants, considérant de plus en plus les actions des forces de l’ordre, comme une répression au caractère manifestement colonial. Un sentiment entretenu par les manipulations médiatiques et politiques à destination de la communauté métropolitaine « invitée à rester chez elle et à ne pas se joindre au mouvement de contestation » parfois par le biais de SMS, mais aussi avec des médias qui ne cesseront d’attiser les tensions raciales en rapportant ce qu’il jugent être des manifestations d’hostilités envers les « blancs », les mzungus.

Ces premiers incidents vont très vite mettre le feu aux poudres et entretenir les tensions perceptibles sur l’île. Face à cette répression et ces tentatives de maîtrise du mouvement social, l’île va s’enflammer et la jeunesse va se joindre au mouvement. Une jeunesse que les vacances scolaires vont libérer. Les quartiers et les villes plongés dans la misère de l’île vont s’embraser et la jeunesse va affronter les forces de l’ordre plusieurs jours durant, mettant en place barrages, et affrontant les forces répressives à coup de pierres et de cocktail Molotov. Une révolte répondant sans nul doute à une violence quotidienne et un mal être flagrant sur cette île.

Quasiment une semaine d’affrontement après 7 jours de mobilisation, des affrontements et une répression dont les cortèges de grévistes vont être les premières victimes. Les arrestations et les gazages vont devenir quotidiens, et les forces coloniales répressives se renforçant dans le même temps. Lors de la fin de cette première semaine de mobilisation et au cours de la deuxième semaine, le préfet dépêche plusieurs escadrons de gardes mobiles et de policiers venus de la Réunion et de la métropole. Des renforts qui atteindront quasiment 5 escadrons soit 500 hommes, le gouvernement colonial allant même jusqu’à réquisitionner les cowboys du GIPN (Groupe d’Intervention de la Police Nationale) de la Réunion, et déployant des moyens militaires et une surveillance aérienne quasi quotidienne.

Le summum des tensions et de la violences policière va être atteint ce vendredi 7 octobre, lorsque un enfant de neuf ans va être grièvement blessé à Longoni, principal port de commerce de l’île. Les policiers sont appelés ce jour-là par le directeur du port, qui craint une action envers les infrastructures portuaires. Les policiers interviennent alors sur une plage près du port où ils ont repéré un groupe d’enfants. Les fonctionnaires de police déclarent ensuite s’être sentis menacés par des gamins de neuf ans, face à des fonctionnaires surarmés, censés « protéger et servir ». Le fonctionnaire cerbère a donc tiré à moins de quinze mètres sur cet enfant de neuf ans percuté en plein tête. L’enfant sera ensuite évacué vers la Réunion et les médecins ne pourront malheureusement sauver son œil... Paroxysme de la violence policière et de la répression dont est victime le mouvement social, cet incident va choquer et émouvoir, mais ne changera pas fondamentalement les actions entreprises par le pouvoir colonial pour mater la rébellion. Ainsi les opérations de maintien de l’ordre se poursuivent et les incidents se multiplient. Mais face à cette répression féroce les grévistes poursuivent inlassablement leur combat et semblent toujours plus déterminés. La stratégie des autorités françaises de l’île va changer alors que les négociations se poursuivent depuis la fin de la première semaine de mobilisation : les forces de l’ordre vont cesser d’être dans la provocation et vont s’échiner à accompagner discrètement les rassemblements de plus en plus importants en nombre de participants.

Des négociations parfois houleuses malgré de fortes démonstrations de force du mouvement social

La grève va atteindre son paroxysme les mercredi 12 et jeudi 13 octobre 2011, avec des mobilisations sans précédent depuis le début du mouvement. Ces jours sont choisis afin de faire une démonstration de force du mouvement social, et le jeudi les grévistes parviennent à mobiliser plus de 12 000 personnes dans les rues de la capitale régionale Mamoudzou.

Même si les négociations sur les revendications basés sur la baisses des prix de 11 produits de première nécessité (dont le riz, la viande, les ailes de poulet ou encore les sardines...) ont débuté dès le début du mouvement, elles ne se déroulent pas sans difficultés. La violence des forces de répression et la politique de fermeté adoptée par la préfecture envers les grévistes ne sont pas étrangères à ces difficultés. Les intérêts soulevés par ces négociations vont de pair avec des effets d’annonce pilotés par les autorités, avec l’appui des médias, visant à achever rapidement la contestation voir à la discréditer. L’arrogance des autorités françaises dans la gestion de ces négociations va être flagrante le 13 octobre, jour du plus grand rassemblement des grévistes depuis le début du mouvement, lorsque le préfet de Mayotte suspend les négociations, pour annoncer l’arrivée de la ministre en charge de l’Outre Mer, Marie Luce Penchard. Son arrivée ne va que mettre une fois de plus le feu aux poudres. Au lieu d’apaiser la situation cette dernière développe un discours paternaliste aux relents coloniaux, n’hésitant pas à demander aux mahorais de dire merci pour le département que la France leur a octroyé en avril dernier ! Un discours qui va enflammer les esprits et planter de nouveaux les graines de la contestation dans le sentiment marqué de Mayotte assimilée à une colonie.

Un mouvement qui peine à se trouver un fonctionnement de démocratie directe autonome des centrales syndicales

Si ce mouvement reste piloté majoritairement par les syndicats qui se sont très vite mis au devant de la scène, les associations de consommateurs restant plus dans l’ombre, l’aspect populaire de ces mobilisations est indéniable. Les syndicats n’ont jamais agit sans concertation avec leur base, et des assemblées générales ont pris forme au fur et à mesure du mouvement. Si ces dernières AG restent encore un peu chaotiques et ouvertement pilotées par les organisations syndicales, le mouvement est resté populaire.

Même si ces efforts de concertation et de liens avec la base développés par les syndicats sont restés constants dans ces journées de lutte ; l’autonomisation du mouvement et la construction d’une démocratie directe participative fut plus difficile. En effet les ténors du mouvement social et des assemblées générales sont restés presque exclusivement les syndicats. Le développement d’une assise populaire du mouvement social n’a pas réussit à dépasser ce réflexe de se tourner et de confier la lute aux centrales syndicales mobilisées. Cette constance du mouvement social tient sans nul doute à la faible expérience de mouvements sociaux sur Mayotte, et à la jeunesse des structures syndicales dont bon nombre n’ont pas encore les réflexes des centrales syndicales de métropole (à l’exception notable de FO qui va cultiver avant tout l’intérêt personnel avant l’intérêt collectif).

Le lundi 17 octobre le malaise des négociations prend encore une autre dimension lorsqu’en cette matinée ensoleillée ce sont cette fois les distributeurs qui boudent les négociations et boycottent la table ronde. Une action justifiées par ces derniers par une perte de confiance dans les autorités françaises pour gérer la situation...Mais ce même jour un nouveau coup dur est porté au mouvement social avec la signature par l’Union Départementale Force Ouvrière d’un protocole d’accord, entraînant ainsi une réouverture chaotique des magasins. Un coup dur qui risque de porter atteinte à la mobilisation. Cette démarche personnelle du représentant de Force Ouvrière s’est réalisée sans concertation avec la base, tant syndicale, que les grévistes mobilisés et en lutte depuis plus de trois semaines.

Après le choc de ce 17 octobre et la morosité du lendemain de ce qui va être ressenti comme une trahison, la journée du mercredi 19 octobre va être un des tournants les plus importants de la lutte engagée depuis quatre semaines maintenant. La stratégie primaire de paralyser les voies de communications de l’île a été de nouveau adoptée. Alors que l’île est paralysée, la répression va commettre un énième crime. A Mamoudzou, la capitale locale, alors que les rassemblements n’ont pas débuté, les forces de l’ordre décident d’intervenir sur un groupe de personnes rassemblées pour prendre un café. Les grenades lacrymogènes pleuvent, ainsi que les flash ball, c’est alors qu’un fonctionnaire de police tire au flash ball à bout portant et atteint mortellement El Anziz, père de famille de 39 ans, qui s’écroule à terre. Alors que la foule tente de donner l’alerte auprès des forces de l’ordre, le commissaire de police s’approche du rassemblement et tire des lacrymogènes sur les personnes venues assister la victime et asperge par la même la victime elle-même. Ce crime va mettre le feu aux poudres et les manifestants en colère vont s’affronter toute la journée aux forces de l’ordre sur l’ensemble de l’île où les barrages routiers dureront jusqu’à la nuit. Ces affrontements vont également se ponctuer un peu partout sur l’île par des actions contre les magasins fermés depuis le début du mouvement. Plusieurs magasins, symboles de cette lutte vont être attaqués et leur marchandises récupérées par les insurgés.

Cette stratégie de lutte pour une baisse des prix des denrées de première nécessité adoptée à Mayotte est intéressante. En effet en réclamant une baisse des prix et non une hausse des revenus, les grévistes ont permis de développer la solidarité entre les habitants de Mayotte, aux situations variées et parfois extrêmement précaires. Ainsi cette stratégie n’exclut en rien celles et ceux qui tirent leur revenus de l’économie informelle (en majorité les sans papiers), mais aussi celles et ceux qui ne peuvent plus travailler (le système des retraites est absent de Mayotte par exemple). Une lutte qui au fur et à mesure du développement de la situation et de la réaction répressive des autorités, va n’avoir de cesse de gagner en maturité. Une lutte qui s’inscrit sans nul doute dans la contestation d’une économie capitaliste mondialisée, vecteur d’inégalités et de discriminations. Un mouvement social qui va également prendre la mesure de la perception de la métropole, vis à vis de ce territoire perdu au milieu du canal de Mozambique. Pour bon nombre de grévistes le sentiment légitime est d’être perçu comme des colonisés et le territoire comme une antique colonie.

Mais attention bien loin de nous l’idée que Mayotte s’est lancée dans une véritable lutte pour la décolonisation. Car si le réveil des consciences est intervenu sur la perception de Mayotte telle une colonie, la perspective de changement avancée par les grévistes ne tient pas à une décolonisation de Mayotte ou son rattachement aux Comores. C’est bien plus une volonté affichée d’être considéré avant tout comme un DOM comme un autre et un département comme un autre. Espérons que ce mouvement soit la première pierre d’un réel réveil des consciences dans ce confetti de l’empire, et qu’il y ait réellement un développement de l’autodétermination de la population de Mayotte.

Tibo

P.-S.

Repères géopolitiques et sociaux

Mayotte est la quatrième île de l’archipel des Comores située dans l’Océan Indien au milieu du canal du Mozambique, île coincée entre le continent africain et l’île de Madagascar. C’est un territoire toujours occupé illégalement par la France et ce depuis 1975. En effet l’ONU ne reconnaît toujours pas depuis cette date la présence française sur cette île au milieu du canal du Mozambique et conteste l’ensemble des scrutins qui se sont déroulés sur l’île depuis cette date (y compris le référendum sur la départementalisation de mars 2009).
Mayotte a une population très dynamique et très jeune. Ainsi plus de 50% de la population a moins de 18 ans. Une jeunesse dont une partie subit quotidiennement la pression policière car vivant dans des quartiers à forte densité de sans papiers, qui voit molester, arrêter et expulser ses parents au nom d’une lutte imbécile et inhumaine contre les sans papiers. Une jeunesse complétement désœuvrée et frappée par un chômage atteignant 40% de la population active des jeunes. Des activités extra scolaires en nombre restreint bien en deçà des besoins de l’île, faute de moyen.

En 1995 afin d’ancrer encore un peu plus ce territoire dans l’empire français et de tenter de donner une légitimité à la présence française (notamment aux yeux de la population locale) ; la France s’est engagée dans une politique de fermeture des frontières sur ce territoire qui compte aujourd’hui plus de 200 000 habitants selon les estimations. Une fermeture des frontières qui va tout d’abord se traduire par une entrave à la circulation des hommes entre les îles et sur l’ensemble de la région. Ainsi le gouvernement Pasqua de l’époque va mettre en place un visa pour la circulation des personnes entre les îles et avec les pays de la région, visa très vite baptisé Visa Balladur. Cette politique s’accompagnera dans les années 2000 d’une politique de traque, de véritables chasses aux sans papiers atteignant son paroxysme en 2010 avec l’expulsions de 26 000 migrants de ce petit territoire (soit au moins autant qu’en France métropolitaine pour la même période).
La fermeture économique de l’île interviendra sensiblement à la même période. L’île passant d’une économie d’auto-subsistance basée sur une agriculture vivrière à une économie presque exclusivement basée sur les importations. Ces importations gardent un caractère « piloté et choisi » dans une optique d’isolement de l’île voulue par la France, afin d’atténuer les contestations vis à vis de cette occupation illégale. Cette économie d’importation va se greffer tout d’abord au marché mondial dans les années 2000, Mayotte faisant ainsi son entrée dans la mondialisation de manière brutale. Parallèlement, l’économie informelle va se développer autour des produits importés par les pays de la ligue arabe, produits transitant via les Comores (les Comores faisant partie de la Ligue Arabe) ; il n’en reste pas moins que ce sont des produits souvent d’une manufacture moins bonne.

A l’instar des autres DOM et ce depuis les évènements des Antilles de 2008, deux blindés de la Gendarmerie en charge du maintien de l’ordre sont affectés à Mayotte. Ces blindés ont été utilisés par les forces de l’ordre à deux reprises.

D’abord en 2008, lors de contestations qui ont éclaté sur l’île suite à l’exfiltration vers Mayotte du dictateur d’Anjouan Mohamed Bacar, alors même que l’importante population anjouanaise réfugiée sur l’île de Mayotte fuyait ce régime totalitaire.

Puis en 2009, lors des premières mobilisations contre la vie chère qui secouèrent l’île. Des mobilisations qui avaient totalement pris au dépourvu les forces de l’ordre et qui s’étaient ponctuées par de nombreux incidents et une répression féroce des grévistes dont les revendications n’avaient alors pas abouti. D’où un certain sentiment de revanche et de détermination perceptible aujourd’hui au sein du mouvement social actuel...

Notes

[1Collectif né en 2009 suite à une première mobilisation sur la vie chère

[2Plus de 50% de la population à moins de 18 ans, et compte tenu de la politique de fermeture des frontières de 1995 va bloquer nombre de « migrants », terme contestable car plus de 90% de ces migrants sont des Comoriens qui sont dans leur pays aux yeux de la législation internationale sur l’île qui représente désormais un tiers de la population de l’île. La population est passée ainsi de quelques 40 000 habitants en 1975 à plus de 200 000 aujourd’hui...

[3La viande est ainsi en provenance du Brésil soit plus de 8000 km, alors même que Madagascar qui est à moins de 300 km produit de la viande elle aussi.

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