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Edito 159 Mai 2006

lundi 1er mai 2006, par Courant Alternatif


Une victoire inachevée

Comme la victoire du NON au référendum contre le Traité de Constitution Européenne, comme la révolte des banlieues en Novembre, le mouvement anti-CPE a surpris par sa force, son ampleur et sa détermination. Face à la fermeté du gouvernement, étudiants et lycéens répondent par les occupations de Facs et de lycées. Face à la rigidité du premier ministre qui joue la montre et la lassitude, le mouvement anti-CPE s’enkyste en “ acte politique ” et la grève se pare de rêve d’espoir, et de fête.
L’individualisme, le chacun pour soi est jeté hors des amphis pour ressortir des Assemblées Générales en une force collective, solidaire et unitaire. En peu de temps, cette génération dite apolitique acquière sa maturité politique pour poser le problème de la précarité dans sa globalité. D’où l’ouverture des AG d’étudiants en AG de ville, où chômeurs, précaires et salariés sont invités à venir échanger. Elles deviennent les lieux de politisation, où nombre de sujets sont abordés sans tabou. Les A.G. massives vont devenir le centre politique de cette autonomie, qui va nier partis politiques et organisations syndicales. Etudiants et lycéens s’auto-organisent, et prennent des initiatives vers les ANPE, des boites d’intérims où des entreprises afin d’élargir la lutte. Les comités de grève ou d’action et leurs commissions deviennent des lieux et des instruments de démocratie directe. Des délégués sont mandatés, élus et révocables. Les encartés syndicaux n’ont pas plus de voix que les non syndiqués. Un mouvement qui se placera sur un terrain offensif d’affrontement de classe : exploités du monde du travail contre exploiteurs au service du capital. 25% des étudiants ou étudiantes sont des précaires.
Face à cette offensive et devant l’échec d’une politique d’attentisme, en vue du pourrissement de la lutte, la bourgeoisie change de tactique et D. De Villepin est obligé de s’effacer devant N. Sarkosy. Son retour au premier plan sera préparé et porté par la presse. Tout en maintenant des échanges avec les organisations syndicales, il essaie d’enfermer le mouvement dans le piège de la violence policière, de la provocation, puis de la répression. Cette stratégie sera vouée à l’échec. Par sa maturité et son autonomie politique qui font sa force, par la multiplicité de ses actions, et par la fluidité de son auto-organisation le mouvement saura éviter le piège de la provocation policière, constituée par la présence de CRS et de policiers en civil dans les cortèges, parfois aidés par les services d’ordre syndicaux. Ainsi les incursions de casseurs pour dépouiller les manifestants, devant une passivité policière étonnante, était longuement et complaisamment filmé ou photographié par les médias. Le pouvoir espérait alors distiller la peur, casser les solidarités et l’unité en démoralisant les manifestants, semer le doute chez les salariés et freiner les sympathies de l’opinion. La tactique Manif / Violences, Etudiants / Casseurs échouera. Le message ne prend pas et ce n’est pas faute d’avoir été pleinement relayé par les médias propagandistes. Sarkosy devant déclarer qu’il fait la différence entre les gentils étudiants et lycéens et les voyous, les casseurs.
Cette maturité politique va très vite permettre au mouvement d’assumer son autonomie. Plus le premier Ministre s’entêtait, plus le mouvement écartait et déjouait les tentatives de récupération des partis et syndicats visant à le canaliser et le noyauter. Tel, l’apparition de syndicats “ jeunes ” dans les manifs : CGT jeunes , CFDT jeunes, FO jeunes, UNSA jeunes… mais en vain. Sentant le danger, ces organisations supplétives du pouvoir, ont dû très vite s’adapter pour accompagner ce mouvement. Alors qu’elles ont de tout temps accompagné (ouvertement : CFDT ou par un laisser faire : CGT) l’offensive anti-sociale de la bourgeoisie contre les travailleurs, y compris dans la généralisation de la précarité. Elles ont dû trouver, malgré leurs divergences de forme, une unité syndicale de façade contre le gouvernement. Ce qui les conduira à radicaliser leur discours en exigeant le retrait du CPE avant toute ouverture de négociations. Ces organisations ne voulaient à aucun prix que les travailleurs ne se mobilisent massivement avec les étudiants et lycéens. Elles refusaient l’idée de grève générale, hantées par le spectre de Mai 68. Pas celui des étudiants sur les barricades, mais celui des 10 millions des travailleurs, de grévistes occupant leurs lieux de travail et bloquant l’économie. Elles n’ont eu de cesse de chercher discrètement, avec les dirigeants de l’UMP et autres partenaires au pouvoir, une sortie rapide de cette crise. Il n’y a qu’à voir avec quel soulagement et précipitation elles se sont ruées, les unes derrière les autres, à la rencontre des représentants et présidents de l’assemblée nationale et du sénat. Pour ensuite nous présenter l’effacement du CPE, de la loi sur l’égalité des chances, comme une grande victoire et nous faire oublier leur attentisme consensuel sur les autres mesures du projet de loi. Mais l’hymne de la victoire, qu’elles ont si énergiquement entonné, a laissé un goût amer sur plus d’un campus, et la déception d’une lutte inachevée chez plus d’un étudiant, d’un lycéen, voire de salariés engagés à leur côté.
Leur victoire n’est pas la nôtre pourrait-on dire ! Certes nous ne bouderons pas la satisfaction d’avoir fait échec à la politique du gouvernement sur ce point. La bourgeoisie, veut occulter la victoire des étudiants et lycéens par le triomphalisme éhonté de ses supplétifs syndicaux. B.Thibault va l’utiliser pour asseoir encore plus son orientation réformiste dans la CGT, lors du 48e congrès à Lille. Ne soyons pas dupes, la bourgeoisie concertera davantage ses partenaires syndicaux en les institutionnalisant encore plus dans les rouages du capital. C’est une des “ décisions ” que proposera le secrétaire général de la CGT à ses congressistes en guise de modernité syndicale. Notons, que c’est ce même déni de concertation qui a vexé Chérèque et poussé la CFDT à refuser le CPE alors qu’elle venait de signer le 9 Mars le contrat “ seniors ” qui accompagne la précarité chez les retraités..
La victoire réside dans la capacité qu’a eu cette génération à faire de la politique en se réappropriant sa vie, en reprenant ses affaires en main et en en assumant sa gestion directe durant la lutte. certes, avec des hésitations, mais aussi avec assurance et conscience, selon les lieux. Il ne s’agit pas de mythifier cette lutte mais de tirer les enseignements de ses forces et de ses faiblesses pour nos prochaines luttes à venir. Capacité politique qui a aussi, permis d’éviter le piège de l’enfermement dans une dynamique générationnelle d’étudiants, pour trouver des solidarités de classe intergénérationnelles constatées dans les manifs et les actions.
Victoire aussi contre ces intervenants médiatisés, chiens de garde de la bourgeoisie, néo réactionnaires venus nous démontrer que le mouvement était une fois de plus rétrograde, passéiste, que nous tournions le dos au progrès de la mondialisation, que nous nous fermions à la modernité etc. Mais ils se gardaient bien de nous expliquer pourquoi, en Grande Bretagne et en Allemagne se déroulaient des grèves massives de salariés démontrant que le prolétariat du vieux continent européen commençait à relever la tête. Victoire donc, contre ces têtes mal-pensantes, suintant l’idéologie dominante qui traduisent toutes luttes de résistances en un combat dépassé et voué à l’échec.
Oui, la bourgeoisie a été inquiétée. Pas par les casseurs mais par les trois millions de manifestants qui ont défilé dans les rues. Elle saura en tirer les leçons et se préparer à réprimer les luttes et mouvements sociaux qui ne manqueront pas de surgir, tant les causes de révolte sont nombreuses et insupportables pour les opprimés et les exploitées.
Malgré la sainte alliance entre tous les défenseurs de l’ordre et du capital, les forces qui ont animé et dynamisé le mouvement sont encore intactes. Elles vont sans doute obliger la bourgeoisie à revoir pour l’instant, à la baisse son offensive contre d’autres secteurs de salariés, sous peine de souffler sur des braises encore chaudes.
Cette victoire inachevée ne doit pas conduire à la déception pour une résignation future mais au contraire, nous renforcer pour d’autres luttes et sans doute d’autres victoires.

OCL CAEN le 20. 04. 2006

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