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CA 211, juin 2011

La Palestine et les révolutions arabes

mardi 21 juin 2011, par Courant Alternatif

L’ancien Président Bush avait décrété la « guerre du bien contre le mal ». Dans ce cadre, tout ce qui était arabe et musulman représentait le terrorisme et une menace contre la civilisation (occidentale, ça va de soi). Cette politique s’accompagnait de la criminalisation systématique des musulmans vivant en Occident.


Le mythe du « bon Arabe »

Les révoltes du monde arabe balaient ces stéréotypes racistes et frappent toutes les formes de régime : déjà, les dictatures mafieuses sont partiellement tombées en Tunisie et en Egypte. Les aspirations à la liberté, le refus de l’étouffement, le réveil de la lutte des classes et le dégoût face à une classe dominante qui a accaparé toutes les richesses soulèvent des lames de fond dans des pays apparemment très différents : Syrie, Bahreïn, Libye, Yémen, Maroc, Algérie… Dans toutes ces révoltes, l’intégrisme religieux, dont on avait fait un épouvantail, joue un rôle marginal.

L’impérialisme a depuis longtemps choisi ses « bons Arabes », ceux qui garantissent l’ordre capitaliste et qu’on peut exhiber comme un rempart contre le terrorisme et l’islamisme. Le soutien aux féodalités du Golfe date du début du xxe  siècle. Pour garantir la possession des richesses pétrolières, un « modèle social » domine la région, mélange de féodalisme patriarcal, intégriste, obscurantiste, et d’ultralibéralisme ayant réduit au rang d’esclaves des millions de prolétaires étrangers. Le soutien à ces régimes est plus que jamais d’actualité : l’armée saoudienne est intervenue à Bahreïn tout en soutenant l’intervention occidentale en Libye. Il n’y a pas de contradiction : dans les deux cas, il s’agit de prévenir tout bouleversement incontrôlable et de maintenir l’ordre capitaliste. Le fondamentalisme saoudien est censé représenter la civilisation face à la barbarie iranienne. Après l’Irak et l’Afghanistan, c’est peut-être là qu’aura lieu la prochaine guerre « préventive ».

Avec les féodaux saoudiens, Moubarak a représenté pendant trois décennies et jusqu’à la caricature le prototype du « bon Arabe ». Il a amplifié l’alliance avec les Etats-Unis, qui forment et équipent l’armée égyptienne. L’aide économique permet à la population surexploitée de survivre dans une extrême pauvreté. Moubarak était devenu le gendarme de la région en participant au blocus de Gaza.

Et en Palestine ?

Parmi les mensonges fondateurs du sionisme, il y a la phrase attribuée à Zangwill : « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre. » Les sionistes se sont comportés lors de leur arrivée dans la région comme si la Palestine était une terre sans peuple. Dès le départ, pour acquérir la terre et conquérir le territoire, ils se sont adressés à des féodaux locaux qui ont vendu ou bradé la terre palestinienne. Quand il est devenu clair qu’un mouvement national émergeait en Palestine, dans les années 1930, les sionistes ont trouvé un allié avec la dynastie hachémite (la future Jordanie) pour se partager le pays. Dans la guerre de 1948, chaque armée arabe s’est battue pour ses propres intérêts nationaux et pas pour les Palestiniens. À la fin de la guerre, il y a eu consensus parmi les dirigeants arabes pour qu’il n’y ait pas de Palestine. La bande de Gaza est devenue égyptienne alors que la Jordanie annexait Jérusalem-Est et la Cisjordanie. Les réfugiés palestiniens expulsés de leur pays ont été très mal accueillis dans les « pays frères », en particulier au Liban.

La stratégie israélienne de nier l’existence du peuple palestinien en s’appuyant sur des dirigeants arabes complices s’est prolongée très longtemps. En 1970, l’armée israélienne a apporté un appui décisif au roi de Jordanie pour écraser les Palestiniens (Septembre noir). En 1977, les accords Begin-Sadate ont eu pour but de faire une paix séparée pour mieux écraser la Palestine. Et pendant la guerre civile du Liban, il y a eu alliance stratégique entre Ie gouvernement israélien et les Phalanges libanaises pour liquider l’Organisation de libération de la Palestine. Pendant cette même guerre civile, la dictature syrienne a aussi servi d’allié objectif quand l’OLP s’est retrouvée encerclée par les tanks syriens et les vedettes israéliennes.

La première Intifada a obligé les dirigeants israéliens à reconnaître l’OLP. Mais pas les droits du peuple palestinien. Les textes signés lors des accords d’Oslo ont porté essentiellement sur la sécurité de l’occupant. Les questions essentielles (l’occupation, la colonisation, l’apartheid, les réfugiés, les frontières…) n’ont pas trouvé de solution. Arafat a refusé à la fin de signer une paix qui aurait baptisé « Etat palestinien » quelques cantons éclatés non viables, et il en est probablement mort. Avec son successeur, Mahmoud Abbas, les Israéliens ont trouvé un dirigeant beaucoup plus complaisant, acceptant les pires humiliations pour son peuple et continuant pourtant à maintenir une « Autorité palestinienne » de plus en plus fantoche. Avec le Premier ministre Salam Fayyad, l’homme du FMI, ils ont entrevu la possibilité de pouvoir faire des affaires sans avoir besoin de trouver un règlement politique.

La division entre Gaza et la Cisjordanie a été une très grande victoire pour l’occupant. Elle a permis une accélération du fait accompli colonial et un crime de guerre resté impuni, le massacre de l’opération « Plomb durci ».

Une résistance ancienne

Les Palestiniens ont tiré des leçons de leur histoire douloureuse. S’accrocher à leur terre, même quand celle-ci est détruite. Ne plus partir en exil, comme en 1948 et partiellement en 1967. Réussir à vivre, à produire, à s’organiser malgré l’occupation. Il y a en Palestine un foisonnement d’associations et de syndicats. On pourrait citer le PARC (Palestinian Agricultural Relief Committees), qui a créé une entraide entre paysans pauvres et population sans ressources ; le PHCR (Centre palestinien pour les droits de l’homme), qui dénonce tous les crimes d’où qu’ils viennent. Les femmes jouent un très grand rôle dans cette auto-organisation de la société palestinienne, surtout depuis que les hommes qui travaillaient en Israël ont été licenciés et ont perdu leurs moyens d’existence. Des syndicats indépendants défendent les employés de l’UNRWA (l’office des réfugiés de l’ONU) qui discrimine les travailleurs palestiniens. Dans les camps de réfugiés, la population, abandonnée, a su créer elle-même les logements des habitants, des centres sociaux et des associations de défense.

Depuis de nombreuses années, la population est massivement convaincue que l’ensemble des institutions issues des accords d’Oslo ne vise qu’à perpétuer indéfiniment l’occupation, et qu’on ne peut attendre que le pire d’un processus de négociations piloté par l’impérialisme américain. La Palestine a été divisée par l’occupant en plusieurs entités : Cisjordanie, Gaza, Jérusalem, Palestiniens de 48 (vivant en Israël) et réfugiés.

En 2005, 172 associations palestiniennes ont initié l’appel international au «  BDS » («  Boycott, désinvestissement, sanctions  ») de l’Etat d’Israël. Il s’agit de s’en prendre à l’Etat d’Israël sur tous les plans (économique, politique, académique, culturel, sportif…) tant que dureront l’occupation, la colonisation, l’apartheid et l’exil des réfugiés. Cet appel a déjà remporté d’importants succès, et les dirigeants israéliens sont très préoccupés par la dégradation de leur « image » qui en résulte.

La résistance en Palestine est aujourd’hui essentiellement non-violente. Elle s’est structurée avec des comités populaires unitaires qui luttent contre les destructions de maisons ou de quartiers (Silwan et Cheikh Jarrah à Jérusalem), le tracé du Mur, les confiscations de terre et les arrachages d’oliviers (Bil’in, Masara, Beit Ommar, Tulkarem…). En face, l’occupant n’est pas non-violent, 30 résistantEs ont déjà été assassinéEs.

La division de la Palestine, qui n’a pas d’Etat mais deux gouvernements rivaux, est vécue justement comme une tragédie. De nombreuses manifestations pour l’unité et contre les négociations bidons ont eu lieu aussi bien à Ramallah qu’à Gaza, et les deux gouvernements les ont réprimées.

En décembre 2010, la jeunesse de Gaza a publié un manifeste : « Merde à Israël, merde au Hamas, merde au Fatah. Merde à l’ONU et à l’UNRWA. Merde à l’Amérique ! Nous les jeunes de Gaza, on en a marre d’Israël, du Hamas, de l’occupation, des violations permanentes des droits de l’homme et de l’indifférence de la communauté internationale. »

En Cisjordanie, le discrédit de l’Autorité palestinienne est massif. Lors de la 166e mission « judéo-arabe », en octobre 2010, nous avons entendu des propos très durs contre Mahmoud Abbas : « Nous aurions aimé n’avoir qu’un seul adversaire, et pas deux. »

En Israël, il y a 11 000 prisonniers politiques palestiniens. On y trouve un Franco-Palestinien (Salah Hammouri), de nombreux élus du Hamas, un membre éminent du Fatah (Marwan Barghouti) et toute la direction politique du FPLP. En quarante ans, plus de 600 000 PalestienNEs ont connu la prison, cela touche toutes les familles. Dès 2006, les prisonniers de tous les partis ont établi un document de réunification de la Palestine rappelant ce que devraient être les bases d’une négociation.

Tout va changer

En Tunisie comme en Egypte, les bourgeoisies essaient de toutes leurs forces d’endiguer le processus issu des révoltes, mais, à l’heure où ces lignes sont écrites, elles n’y arrivent toujours pas.

Il était logique que ces révoltes atteignent la Palestine, d’autant que Mahmoud Abbas avait été, avec Nétanyahou, le seul dirigeant à regretter la chute de Moubarak. La question palestinienne a toujours été centrale dans le monde arabe, même si les mouvements populaires actuels n’en ont pas fait leur première revendication. Depuis 1967, la défaite arabe a fortement contribué à la glaciation de la région, à l’élimination des forces progressistes et à la domestication de tous les régimes en place.

En l’espace de quelques jours, l’Egypte a entrouvert puis ouvert la frontière de Rafah avec la bande de Gaza. C’est un signe fort indiquant qu’on est loin d’une reprise en main achevée en Egypte. A terme, ce sont toutes les complaisances égyptiennes qui ont accompagné les accords Begin-Sadate qui devraient être remises en cause, à commencer par les livraisons de pétrole et de gaz à bas prix.

L’ignoble blocus de Gaza établi par l’occupant (pour punir les Palestiniens d’avoir « mal » voté) avec la complicité de toute la communauté internationale est ébréché. Contre ce blocus, une flottille internationale a été arraisonnée et mitraillée en 2010 par la marine israélienne (9 morts sur le ferry-boat turc Mavi Marmara) en toute impunité. Une autre flottille internationale partira fin juin. Il y aura un bateau français. Cette fois-ci, des courants politiques qu’on avait peu vu jusque-là se mobiliser pour la Palestine (en France, CGT, PC, Mouvement de la paix…) ont rejoint la campagne, qui rencontre un grand succès populaire et a déjà collecté l’argent nécessaire. Cette flottille a les moyens de rompre le blocus, et il sera beaucoup plus difficile pratiquement et politiquement pour Nétanyahou de réitérer la répression de l’an dernier.

Fatah et Hamas ont enfin signé un accord de réunification qui semble solide et reprend plusieurs points du document des prisonniers. Pourquoi cette signature maintenant ? Il y a une incontestable victoire du peuple palestinien, qui exigeait la fin de la division et vit cet accord comme une victoire. Il y a aussi le fait que les deux gouvernements étaient dans l’impasse. Mahmoud Abbas n’a pas obtenu la moindre miette de l’occupant malgré sa complaisance. Au contraire, Nétanyahou a utilisé cette bienveillance pour accélérer la colonisation, à Jérusalem et en Cisjordanie. Il y a maintenant 500 000 colons. Cette occupation pille la Palestine. La colonisation est aussi spatiale. Les colonies encerclent et asphyxient villes et villages palestiniens. Et Nétanyahou promet toujours plus de colonies et jamais d’Etat palestinien.

A Gaza, le Hamas est apparu, quand il a pris le pouvoir, comme étant un parti de la résistance. Mais il a géré, souvent de façon dictatoriale, le territoire sans aucune perspective autre qu’un nouveau massacre commis par l’occupant (1 400 mortEs lors de l’opération « Plomb durci »). La signature de l’accord est donc aussi un moyen pour les deux partis de rebondir.

Enfin, il y a du nouveau sur le plan diplomatique. Déjà, des pays ont gelé ou rompu les relations politiques avec Israël (Venezuela, Bolivie, Turquie…). Il va y avoir probablement une demande d’adhésion de l’Etat palestinien à l’ONU. Avec des chances importantes pour que cette demande, si elle est formulée, soit majoritaire. On change donc de période dans cette guerre. Mais attention aux illusions !

Panique en Israël

Le sionisme a traversé des périodes politiques très différentes depuis l’arrivée des premiers colons. Sa stratégie, c’est avant tout le fait accompli, l’exigence d’impunité au nom d’un crime européen (l’antisémitisme et le génocide nazi). C’est aussi réaliser l’idéal de Jabotinsky, l’idéologue de la droite sioniste dans les années 1930 : créer un mur de fer face aux « Arabes » et réaliser le « transfert », l’expulsion des Palestiniens au-delà du Jourdain. Repousser sans cesse la frontière et « achever la guerre de 48 », pour reprendre le thème de la campagne électorale qui avait porté Sharon au pouvoir.

Le sionisme a gommé les différences idéologiques. Il n’y a pas de « gauche » sioniste. Celle qui s’intitulait ainsi a participé à tous les crimes contre les Palestiniens : l’expulsion de 1948, la conquête de 1967, la colonisation, la répression, le Mur… Déjà, Itzhak Rabin avait installé 60 000 nouveaux colons après les accords d’Oslo. Ses héritiers politiques sont en pleine débandade. Ils ont approuvé la guerre contre le Liban (2006) et le massacre de Gaza (2008-2009). Ce n’est pas par hasard si le débat politique en Israël n’oppose que des partisans de la colonisation (les intégristes, Nétanyahou, Liberman, Livni, Barak…). Le sionisme ne désire surtout pas avoir « un partenaire pour la paix » (pour reprendre l’expression de Barak) qui l’obligerait à abandonner les parodies de négociations actuelles. Au contraire, le sionisme a besoin d’avoir en face de lui le « bon Arabe » qui fera écran pour ne jamais aborder les revendications palestiniennes.

Interrogé au moment de la chute de Moubarak, l’ancien ambassadeur d’Israël au Caire (Zvi Mazel) a considéré les révolutions arabes comme une « catastrophe pour les Juifs ». Au moment de la chute de Ben Ali, la presse israélienne présentait les manifestants comme des antisémites traquant les derniers Juifs tunisiens. L’idée dominante en Israël est que la démocratie dans le monde arabe est un danger sur tous les plans. Les analystes évoquent aujourd’hui la rupture des accords de paix avec l’Egypte. Nétanyahou rappelle qu’une « attaque préventive contre l’Iran » était prévue dans son programme électoral. Son gouvernement sanctionne l’Autorité palestinienne pour avoir signé la paix avec le Hamas, exhorte l’Occident à refuser toute discussion avec ce dernier, et multiplie les pressions sur différents pays pour empêcher le départ de la flottille. Il exige comme préalable la reconnaissance d’Israël comme « Etat juif » ; Sarkozy en a même rajouté en parlant de « l’Etat des Juifs ».

La politique israélienne actuelle est le résultat d’une très longue période d’impunité et d’absence de pressions. Ce n’est pas parce qu’ils sont mal informés que les dirigeants occidentaux soutiennent inconditionnellement Israël, au point de rehausser les relations économiques entre cet Etat et l’Union européenne, et d’inonder les marchés européens de produits venant des colonies et détaxés. Ce n’est pas parce qu’il est mal informé que le gouvernement américain accompagne l’aide privée à Israël d’une très importante aide publique, économique et militaire. Aide politique aussi, puisque Obama a empêché par le veto américain toute condamnation d’Israël à l’ONU. Ce n’est pas par ignorance que les troupes de la FINUL n’ont jamais tiré un seul coup de feu contre l’envahisseur israélien malgré deux occupations du Liban. Fondamentalement, l’Etat d’Israël, morceau d’Occident au Proche-Orient permettant de contrôler la région, Etat surarmé dépensant 60 % de son budget dans l’armement et les technologies de pointe, c’est l’Etat d’Israël rêvé pour les dirigeants occidentaux. Un Etat d’Israël vivant en paix et sur un plan d’égalité avec les Palestiniens ne les intéresse pas.

Les années d’impunité d’Israël, celles où tout était permis, sont peut-être derrière nous. Les bouleversements dans le monde arabe et en Palestine ouvrent de nouveaux possibles. Nétanyahou ne changera pas de politique, mais ses capacités d’action vont très nettement se rétrécir, surtout si l’ensemble des dirigeants arabes suit la voie initiée par l’Egypte ou si la Palestine remporte des victoires diplomatiques. La chute de son gouvernement devient possible.

En Israël, une partie de l’opinion n’est plus représentée à la Knesset, et sait que la politique menée a un côté suicidaire. Il existe une minorité de militantEs anticolonialistes que Michel Warshawski appelle la « petite roue ». Ce sont diverses organisations « radicales » qui travaillent avec les Palestiniens : Centre d’information alternatif, Anarchistes contre le Mur, Coalition des femmes pour la paix, et bien d’autres. Il y a un véritable enjeu à ce que, comme en 1982, cette « petite roue » puisse entraîner la grande : les centaines de milliers de personnes qui avaient manifesté contre l’invasion du Liban.

La paix ? Quelle paix ?

Déjà Shimon Pérès, qui n’est pas à un retournement près, considère qu’il faut cesser de refuser la négociation avec le Hamas. Il n’est donc pas exclu qu’on entre d’ici peu dans une nouvelle période avec la fin du blocus de Gaza, une entrée de la Palestine à l’ONU, et un gouvernement israélien acceptant sous la pression de venir à la table des négociations.

Il faut garder en tête la mémoire de l’échec total d’Oslo et de ses causes.
Parler d’un Etat palestinien sans même aborder la question des frontières ou celle des réfugiés peut être dangereux. La paix passe avant tout par la reconnaissance du crime fondateur (l’expulsion des Palestiniens de leur pays en 1948) et par l’examen de la réparation de ce crime. Parler de paix sans aborder ce qui est à l’œuvre (colonisation, apartheid, les Palestiniens devenus un peuple de réfugiés) ne peut aboutir qu’à un échec. Parler de paix sans évoquer le fait que les 500 000 colons devront partir ou accepter la citoyenneté palestinienne n’a pas de sens.

En 1988, l’OLP avait fait un pari : amnistier Israël pour 1948 et ne demander que la réparation de 1967. Le nombre de colons et d’Israéliens installés à Jérusalem-Est et en Cisjordanie a triplé depuis. Les Palestiniens qui ont négocié à Oslo ont imaginé qu’il y avait des sionistes « de gauche » avec qui on pourrait négocier « la paix des braves » sur la base de « la paix contre les territoires ».

Aujourd’hui, la création d’un Etat palestinien sur la base des 22 % de la Palestine historique conquis par Israël en 1967 paraît irréaliste. L’annexion n’est plus rampante, elle se veut irréversible. Curieusement, le sionisme, qui est au départ une théorie (colonialiste) de la séparation voulant coûte que coûte séparer les Juifs des non-Juifs, rend aujourd’hui la séparation impossible. Entre Méditerranée et Jourdain, il y a quasiment autant de Juifs israéliens que de Palestiniens, avec une imbrication totale. S’il y a séparation, on ne voit pas pourquoi ce serait sur la base de 78 % pour les uns et 22 % pour les autres. S’il y a une paix fondée sur le droit international, elle devra accepter la résolution 194 de l’ONU, qui proclamait le droit au retour des réfugiés palestiniens.

Quelle que soit la solution étatique envisagée, elle ne peut reposer que sur une égalité complète politique, économique et citoyenne. S’imaginer que l’idéologie sioniste dans laquelle tous les Israéliens baignent depuis leur naissance puisse accepter une telle issue, c’est se tromper lourdement. La paix suppose une désionisation d’Israël, la fin des institutions militaires, policières ou de conquête que le sionisme a créées (en particulier le Fonds national juif KKL) et la fin de l’« Etat Juif » dans lequel les non-Juifs sont des sous-citoyens (particulièrement discriminés). Il ne peut pas y avoir de paix si les Juifs du monde entier peuvent du jour au lendemain émigrer en Israël et s’y installer. Un tel processus implique l’expulsion du peuple autochtone. Il ne peut pas y avoir de paix sans une même citoyenneté pour touTEs, indépendamment des origines ou de la religion.

On entre donc dans une période passionnante où le colonialisme triomphant va subir des échecs, mais aussi dans une période dangereuse.
La priorité des tâches militantes actuelles, c’est affaiblir l’occupant et atteindre son image, avec notamment la campagne BDS et la flottille pour Gaza. Quand on entrera dans une période de discussions, il faudra exiger que soient traitées les questions fondamentales de cette guerre : colonisation, occupation, apartheid, égalité des droits.

Pierre Stambul (13 mai)

P.-S.

L’auteur de cet article, Pierre Stambul, est membre de l’Union juive française pour la paix

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